lundi 17 novembre 2008

LA GUERRE DES PRIX N'AURA PAS LIEU





Une fois l'an (c'est la coutume), des questions qui «fâchent» sont censées agiter le fameux et inexistant «milieu littéraire» :

- Les jurés des prix littéraires sont-ils corrompus ? (Mais oui! )

- Les éditeurs (et les grands groupes, Hachette et consorts) mettent-ils en péril l'indépendance des jurys ? (Bien évidemment !)

- Y a t-il de bons, de grands écrivains complètement oubliés dans ces festivités, lesquelles, de toute manière, ne concernent qu'un tout petit monde, qui ne se déplace qu'entre Saint-Germain-des-Prés et Odéon? (Oh ! Mais ça ne fait pas un pli ! )


Donc je laisse les autres tenter de répondre à ces brûlantes questions, qui préoccupent trois personnes 1/2 sur des plateaux télé, ravies de pouvoir palabrer sur ces marronniers littéraires, qui sont de saison après tout (nous sommes en novembre).

Qu'ils commentent à leur aise le Goncourt décerné à Atiq Rahimi ou le Prix Décembre à Mathias Enard, je suis bien contente pour eux moi, et je les laisse faire avec bienveillance. Car attention, hein, je ne vais pas vous faire le coup d'écrire que ceux qui ont le Goncourt sont tous des pourris alors que ceux qui obtiennent de petits prix que personne ne connaît sont formidables. Mais j'ai autre chose à raconter, voilà tout : je viens vous parler d'un prix littéraire d'une part, et d'un recueil de nouvelles d'autre part.


Alors, d'abord, le prize itself: c'est un chouette prix qui a été décerné jeudi dernier, c'est à dire le 13 novembre, et qui s'appelle le Prix du Style. Notez que c'est en soi un très bon nom pour qualifier une récompense littéraire, n'est-ce-pas, puisqu'il met en valeur la qualité d'une oeuvre et non celle du jury. Je m'explique: les prix littéraires sont plus souvent définis par leurs jurys que par les livres qu'ils défendent. Ainsi, la qualité principale du Goncourt des Lycéens est d'être décerné par des lycéens, le Fémina par des femmes, l'Interallié par des journalistes, etc, etc, etc.


Alors que le Prix du Style, pas du tout : d'abord, son jury est assez hétéroclite et plutôt people (seule raison valable pour rassembler David Abiker, Irène Frain, Ariel Wizman et Philippe Delerm dans un prix littéraire). Mais sa grande qualité est de récompenser un truc parfois un peu oublié, un truc un peu ringard, un truc qui s'appelle le style.




Et de belle manière, puisque le lauréat de cette année est infiniment talentueux et qu'il s'appelle Bernard Quiriny. Cet homme belge à la petite trentaine a écrit le meilleur recueil de nouvelles francophones de l'année, (bien que je ne les ai pas tous lus, faut être honnête). Et les jurés du Prix du Style ne s'y sont pas trompés, je vous assure, puisqu'ils ont voté en masse pour ces Contes Carnivores, de vrais bijoux de style préfacés par Enrique Vila-Matas, bref un livre que je conseille de vous offrir à Noël (au lieu d'acheter le Laurent Gaudé par exemple).




















Car voilà enfin un écrivain francophone qui ne verse ni dans l'autofiction nombriliste, ni dans les facilités du roman psychologisant, ni dans la fiction historique frelatée. Cela se fête! Dignement: les quatorze nouvelles de ces Contes carnivores sont autant de bijoux surréalistes. Il y a un peu du Passe-Muraille de Marcel Aymé, un peu d'inquiétante étrangeté à la Edgar Poe, un peu de fantastique à la Cortazar, un peu d'humour absurde à la Raymond Queneau... Je passe les références, on s'en fiche presque, mais sachez qu'on on tremble, on rit, on s'extasie, on dévore ces Contes carnivores, fables dignes d'un tableau de Dali, qui mettent en scène avec une jubilation érudite une femme-orange qui se boit, une langue d'Indiens que personne ne comprend, un suicide par tueur à gages interposé, ou un biographe d'homonymes célèbres (auteur d'une Vie de «Théophile Gautier, cordonnier à Lattes», ou de «Cambronne, représentant de commerce dans le Doubs».



Bernard Quiriny, Contes carnivores. 18 euros.





QUELQUES MOTS SUR LA B.O


The Old main Drag, des Pogues. Deux raisons à cela : j'adore l'Irlande (et j'adore les Pogues). Ensuite, cette chanson raconte l'histoire d'un gars qui arrive à Londres à 16 ans et qui se drogue et qui fait le tapin et qui est tout le temps défoncé et on le frappe souvent et c'est une très bonne chanson, qui, je le rappelle, figure au générique du film My Own Private Idaho de Gus Van Sant avec River Phoenix et Keanu Reeves :




THE OLD MAIN DRAG




When I first came to london I was only sixteen
With a fiver in my pocket and my ole dancing bag
I went down to the dilly to check out the scene
And I soon ended up on the old main drag

There the he-males and the she-males paraded in style
And the old man with the money would flash you a smile
In the dark of an alley youd work for a fiver
For a swift one off the wrist down on the old main drag

In the cold winter nights the old town it was chill
But there were boys in the cafes whod give you cheap pills
If you didnt have the money youd cajole or youd beg
There was always lots of tuinol on the old main drag

One evening as I was lying down by leicester square
I was picked up by the coppers and kicked in the balls
Between the metal doors at vine street I was beaten and mauled
And they ruined my good looks for the old main drag

In the tube station the old ones who were on the way out
Would dribble and vomit and grovel and shout
And the coppers would come along and push them about
And I wished I could escape from the old main drag

And now Im lying here Ive had too much booze
Ive been shat on and spat on and raped and abused
I know that I am dying and I wish I could beg
For some money to take me from the old main drag

mardi 21 octobre 2008

«J'AI L'HONNEUR DE NE PAS VOUS DEMANDER CE TRAVAIL» (... UN LIVRE IDÉAL EN PÉRIODE DE CRISE)











«Bien que votre candidature nous semble intéressante, d'autres profils plus adaptés à ce poste vous ont été préférés»

«Nous avons bien reçu votre candidature et nous vous en remercions. Cependant...»

«Nous nous permettons toutefois de conserver vos coordonnées afin de vous contacter de nouveau le cas échéant.»

Déjà reçu cette lettre-type de refus, rédigée par un DRH-type d'une ZAC-type de la banlieue-type de Paris, Lyon, Marseille? Déjà reçu ces courriers-type à en-tête à l'ironie tragique («Ensemble, construisons l'avenir»), écrits par des personnes qui, hélas, ne peuvent rien pour vous et qui, pour votre plus grand malheur, ne vous donneront pas ce magnifique de CDD-de-cariste-de-3-mois-non-renouvelable-à-Cergy-(95)-aux-3/8-payé-aux-4/5-du-SMIC?

Marre d'écrire des inepties («je suis souriant, disponible, motivé») sur vos lettres de motiv' tapées laborieusement à la chaîne en TimesNewRoman corps 12 pour ne fâcher personne? De malmener la langue française en abusant d'affreux participes présents en tête de phrase? («Ayant moi-même un bon contact avec les animaux, je suis toute disposée»...); de mentir sur vos hobbies, vos voyages, vos compétences («anglais courant; bonne connaissance d'Excel; je pratique le tango en amateur»)?

Julien Prévieux, lui, après huit ans de ce régime, a décidé d'inverser la vapeur et de rédiger, en réponse à des offres d'emploi, des lettres de non-motivation.

Le résultat est incroyablement drôle (et subversif).

Exemple: A une annonce recherchant un coupeur de verre (H/F), il répond:


«Monsieur,

Je vous réponds suite à votre annonce parue dans la Parisien emploi. J'ai déjà vu des métiers dont la désuétude frôlait l'indécence, mais là vous dépassez les bornes: vous cherchez un... coupeur de verre! On a changé d'époque, monsieur, vous devez absolument vous moderniser, et proposer des métiers qui correspondent à votre temps. Le XXIème siècle est largement entamé, apprenez que les taillandiers, les poinçonneurs, les troubadours, les schlitteurs, les drapiers, les cochers, les bourreliers, les crieurs publics et autres montreurs d'ours ont disparu. Aujourd'hui nous sommes en plein boom des télécoms et de l'informatique, sans être novateur proposez au moins des jobs d'ingénieurs réseaux. Nous avons besoin de nouveaux managers, d'experts en veille stratégique, de consultants, de DRH, de truqueurs d'images, d'ingénieurs bio-tech. Notre société est post-industrielle, le sciage peut attendre, pas les produits financiers, ni les loisirs ou les semi-conducteurs. Vous êtes un frein à l'innovation, aussi je me vois dans l'obligation de refuser le métier rétrograde que propose votre entreprise.

Dans l'attente d'une réponse de votre part, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

Julien Prévieux».

Tout est du même tonneau, si j'ose dire. A une annonce d'un job chez Bénédicta, il se décrit comme un obèse accro à la junk-food qui se nourrit exclusivement de «sauce béarnaise, bourguigonne, madère, sauce américaine, aïoli», mais qui, à cause de surpoids, est incapable de s'éloigner du Franprix de la rue des Amandiers et donc se voit «dans l'obligation de refuser ce poste»...

A la Banque populaire, dont l'annonce est ornée d'une image représentant un grand voilier en pleine mer, avec, au dessus : «VOUS NE VOUS VOYEZ PAS FAIRE CARRIÈRE DANS LA BANQUE? VOUS AVEZ PEUT-ÊTRE UN AVENIR À LA BICS-BANQUE POPULAIRE», il avoue d'abord en réponse «ne pas bien comprendre la présence d'un voilier en pleine mer illustrant une poste de commercial». Et il conclut : «A la question : vous ne vous voyez pas faire carrière dans la banque, je réponds : Non, je ne me vois pas faire carrière dans la banque.»



Voilà qui fait du bien, n'est-ce pas?


Je vous conseille ardemment de lire ce livre grinçant, sans conteste le plus drôle de 2008. D'abord parce qu'il offre une vision subversive de la crise, du chômage qui ne cesse d'augmenter, des angoisses que génère cette société post-industrielle pleine de métiers fantômes, mal qualifiés et mal payés. Et surtout, parce que Julien Prévieux, -qui est avant tout un artiste-, fait ressortir la violence latente, la comédie sociale qui se joue lorsqu'un postulant postule, et qu'un recruteur répond; c'est un vrai jeu social, sauf que l'un des participants, bien entendu, est plus fort que l'autre. C'est édifiant.




Julien Prévieux, lettres de non-motivation. Editions Zones-La Découverte. 9,90 euros. Il expose actuellement à La Vitrine (lieu d'exposition de l'Ecole Nationale d'Arts de Paris-Cergy) du 6 décembre 2007 au 6 janvier 2008. www.previeux.net.



BO : The Kinks, Sunny Afternoon






CETTE CHANSON DES KINKS, SUNNY AFTERNOON, ILLUSTRE ASSEZ BIEN L'ÉTAT D'ESPRIT TRANQUILLEMENT SUBVERSIF DE CES LETTRES DE NON-MOTIVATION. EN VOICI DONC LES PAROLES.


The tax mans taken all my dough, (dough = argent)
And left me in my stately home,
Lazing on a sunny afternoon.
And I cant sail my yacht,
Hes taken everything Ive got,
All Ive gots this sunny afternoon.

Save me, save me, save me from this squeeze.
I got a big fat mama trying to break me.
And I love to live so pleasantly,
Live this life of luxury,
Lazing on a sunny afternoon.
In the summertime
In the summertime
In the summertime

My girlfriends run off with my car,
And gone back to her ma and pa,
Telling tales of drunkenness and cruelty.
Now Im sitting here,
Sipping at my ice cold beer,
Lazing on a sunny afternoon.

Help me, help me, help me sail away,
Well give me two good reasons why I oughta stay.
cause I love to live so pleasantly,
Live this life of luxury,
Lazing on a sunny afternoon.
In the summertime
In the summertime
In the summertime

Ah, save me, save me, save me from this squeeze.
I got a big fat mama trying to break me.
And I love to live so pleasantly,
Live this life of luxury,
Lazing on a sunny afternoon.
In the summertime
In the summertime
In the summertime

lundi 4 août 2008

Lost in Chet Baker








Chet Baker est un grand trompettiste. Jeu infiniment doux, voix délicate comme un souffle; écouter She Was Too Good To Me, Autumn Leaves, ou The More I See You pour saisir ce qu'est le cool jazz. Tout est là, dans la langueur retenue de sa voix, dans son jeu rond et velouté.


D'où l'intérêt, en plein coeur de l'été, alors que le soleil nous étourdit, que la chaleur nous accable, que la lumière nous aveugle et nous rend dizzy, d'aller voir dans une salle fraîche (et sombre comme une grotte) le film de Bruce Weber, Let's Get Lost. Vingt ans après sa sortie initiale, il ressort en salles. Qu'attendez-vous?


Ainsi, après avoir écouté Chet Baker, vous pourrez le contempler. Observer ses demi-sourires, ses regards faussement tranquilles, son visage creusé par la drogue et l'angoisse. Vous verrez dans ce film de magnifiques balades, très cool, très fiftes, à bord de magnifiques voitures colorées, avec un Chet Baker en marcel, faux James Dean du Pacific Jazz, faux crooner aussi (mais vrai jazzman)... Accompagné, comme il se doit, de magnifiques jeunes femmes aux longs cheveux noirs qui tombent sur les fesses rebondies, qui tourbillonnent sur le sable, qui l'entourent, souriantes, fascinées. Vous assisterez à des enregistrements passionnants, où l'on voit répéter ce musicien qui ne sait pas lire la musique; vous verrez des dîners animés, alcoolisés, avinés, des concerts, des bouts d'images, des confidences récoltées à la fin de sa vie, pauvre vieux Chet vieilli prématurément, longues et fines rides, usé par les drogues et prêt à mourir. Vous verrez aussi les mantes religieuses narcissiques qui furent ses compagnes, telle Ruth Young, chanteuse de petit talent dont le plus grand exploit dans le film est de donner l'impression, pendant quelques minutes, qu'elle fut la muse de la fin de la vie de Chet Baker... Elle prouve surtout, image par image, qu'il est difficile d'exister lorsqu'on a pour amant un génie.

Je suis allée à Amsterdam, j'ai vu l'hôtel où il est descendu le jour de sa mort. J'ai vu l'endroit d'où il est tombé, défenestré, comment? On n'a jamais su. Trop de drogues ou envie de mourir? Accident stupide ou geste flamboyant? Je n'en sais rien, personne n'en sait rien, et tant pis. Sa mort ressemble à sa vie : c'est un curieux clair-obscur et la vérité compte peu.

Ce qui compte, c'est que ce grand mélancolique a engendré un beau film.


Let's Get Lost, de Bruce Weber.

Avec, dans leurs propres rôles: Chet Baker, Carol Baker, Vera Baker, Paul Baker, Dean Baker...

lundi 21 juillet 2008

Summer in the City





S'il fallait trouver l'équivalent, en images, des romans policiers très fifties de ce New-Yorkais qui troqua un nom de tailleur italien (Salvatore Lombino) contre un nom de flic irlandais (Ed McBain), ce serait peut-être les photographies de Weegee: même description crue des dures réalités d'une métropole socialement contrastée, même humour macabre, même désabusement souriant.










Ed McBain: les cinéphiles le connaissent sous le nom d'Evan Hunter, scénariste du puissant Graine de Violence de Richard Brooks, et des Oiseaux d'Hitchcock; les amateurs de polars, eux, le vénèrent pour la série du 87ème district: soit des centaines d'histoires de flics, de voyous... et de gens ordinaires, qui mettent en scène les détectives Steve Carella, Meyer Meyer, Willis. Chez Ed McBain, New York n'est pas tout à fait New York mais Isola, ville à peine fictive.





A l'inverse des détectives «durs à cuire» à la Philip Marlowe, les héros de McBain sont faillibles, «doux-amers, lyriques, parfois même sentimentaux». Modernes, en quelque sorte. Voilà pourquoi ils n'ont pas vieilli, voilà pourquoi j'ai lu, en 1998, à quinze ans à peine, les Chroniques du 87ème district, toutes compilées chez Omnibus. Je les ai enchaînées pendant l'été 1998, sous un soleil écrasant, sur une terrasse en face du palais de justice de Carpentras. A l'époque la France était championne du monde, et moi je lisais Le paradis des ratés, Victime au choix, ou Du balai...


Et dix ans plus tard, que vois-je ? Qu'on édite un recueil de nouvelles inédites, Le goût de la mort. (en anglais Learning to kill, brrr). Rédigées entre 1952 et 1957, quand le jeune McBain écrivait pour un quart de cent le mot, (!) elles mettent en scène des flics aux noms curieusement familiers : Marelli, Willis, Ed... Et on y trouve, en vrac : des bandes de jeunes et leur sens de l'honneur (dans l'excellent Regardez-le mourir); des clubs enfumés de Chinatown (Mort et bien mort); ou un petit Caïn new-yorkais délicieusement inquiétant (Meurtre d'un gamin).









Et le coeur du poulet*, dans cette histoire, c'est que McBain présente chaque nouvelle par des textes d'introduction plein d'humour et d'humilité, écrits quelques temps avant sa mort en 2005. Par exemple, on apprend dans l'un d'eux qu'il s'est un temps essayé aux histoires de détectives privés, mais, qu'hélas, la mayonnaise n'a pas pris.

C'est ainsi qu'il nous raconte, juste avant de nous livrer l'histoire un peu ratée de son détective Matt Cordell: «Quand on commence à écrire des parodies d'histoires de détectives privés, c'est le moment d'arrêter d'en écrire».

Et de s'arrêter aussitôt. Quel homme !




Ed Mc Bain, Le goût de la mort. Traduit de l'américain par Zach Adamanski. Bernard Pascuito Editeur, 21 euros. 336 pages.

* Expression signifiant «le plus beau». C'est bien le seul endroit où je peux l'utiliser...


Musique : The Heart's filhty lesson de David Bowie. (sur l'album Outside, sorti en 1995). Souvenez-vous : on pouvait entendre cette chanson troublante dans le film Seven, de David Fincher.

dimanche 13 juillet 2008

APPEL POUR LE LIVRE / SIGNEZ !



Cher lecteur, cher bloggeur,

Si nous avons la chance aujourd'hui de pouvoir chroniquer des romans publiés dans de petites maisons d'édition talentueuses, si nous avons la chance de lire des écrivains à-3000-exemplaires-mais-très-doués, si nous avons la chance d'avoir un libraire, quelque part à Dijon, Carpentras ou Laval, qui nous oriente, nous conseille et nous guide vers ces gens-là,si la France reste un pays où la création littéraire est largement soutenue, nous le devons en grande partie à une loi méconnue : la loi Lang d'août 81, qui fixe le prix unique pour les bouquins, et qui empêche les Leclerc et autres Amazon de balayer les libraires indépendants du marché du livre.

Cela semble être un combat de David contre Goliath, cela vous paraîtra peut-être caricatural d'opposer ainsi la vilaine grande distribution au gentil petit libraire, mais je vous assure (et je parle en tant qu'employée de librairie, et surtout journaliste) que c'est le cas et que les forces sont loin d'être égales.

Qu'on ne vienne pas me parler de défense du consommateur: en Angleterre, où cette loi n'existe plus depuis 1995, les prix ont augmenté de 20%.


Voici l'appel pour le livre et la pétition à signer.




Appel pour le livre




Des amendements proposés par des députés de la majorité parlementaire lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie ont ouvert un large débat sur la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite « loi Lang ».

Les professionnels du livre, auteurs, traducteurs, éditeurs et libraires, rejoints par les bibliothécaires et de nombreux acteurs du livre en régions, ont expliqué d’une même voix que ces amendements remettaient en cause la loi de 1981 et menaçaient les équilibres du marché du livre, ainsi que la diversité de la création et de l’édition françaises. Leur mobilisation a été relayée par des membres du gouvernement. Madame Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, a souligné combien cette loi restait un outil indispensable pour protéger la littérature. Madame Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, quant à elle, a indiqué ne vouloir changer ni la politique du livre ni le système législatif actuel.

Les acteurs du livre sont néanmoins inquiets car beaucoup d’idées fausses sont colportées sur la loi par quelques multinationales du commerce culturel. Le lobbying qu’elles exercent auprès des parlementaires est à l’origine de ces amendements. Il vise à déréguler le marché du livre afin d’imposer un modèle commercial basé sur une volonté d’hégémonie et une stratégie purement financière. Derrière leurs arguments démagogiques mêlant modernité, défense du pouvoir d’achat et même écologie se cache un combat contre la création, la diversité, la concurrence et l’accès du plus grand nombre au livre.

Ce modèle culturel français, nous y sommes pour notre part indéfectiblement attachés. Ses vertus sont multiples. Avec plus de 2500 points de vente, le réseau des librairies est dans notre pays l’un des plus denses au monde. Il permet, aux côtés du réseau de la lecture publique, un accès au livre aisé et constitue un atout important pour l’aménagement du territoire et l’animation culturelle et commerciale des centres-villes. Ce réseau de librairies indépendantes cohabite avec d’autres circuits de diffusion du livre, les grandes surfaces culturelles, la grande distribution, les clubs de livres ou Internet. Depuis de nombreuses années et à l’inverse d’autres secteurs culturels comme le disque ou la vidéo, le marché du livre se développe sans qu’aucun circuit n’écrase ses concurrents. Chaque circuit joue son rôle et le consommateur bénéficie d’un véritable choix.


Pour la création et l’édition, cette densité et cette variété des circuits de vente du livre offrent à chaque auteur et à chaque livre le maximum de chances d’atteindre son public, qu’il s’agisse d’un premier roman, d’un ouvrage de recherche, d’un livre pour enfant, d’une bande dessinée, d’une œuvre traduite, du dernier roman d’un auteur connu, d’un livre pratique ou d’un ouvrage scolaire. Tous les livres pour tous les publics, voilà notre modèle.


Ce modèle, c’est la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre qui en est le pivot et le garant. En permettant d’infléchir les règles du marché afin de tenir compte de la nature culturelle et économique particulière du livre, elle passe aujourd’hui pour l’une des premières véritables lois de développement durable. Elle confie à l’éditeur la fixation du prix des livres qu’il publie. Les livres se vendent au même prix quel que soit le lieu d’achat, dans une librairie, une grande surface ou sur Internet, durant au moins deux ans. Ce système évite une guerre des prix sur les best-sellers qui ne permettrait plus aux libraires de présenter une offre de titres diversifiée ni aux éditeurs de prendre des risques sur des ouvrages de recherche et de création qui ont besoin de temps et de visibilité dans les librairies pour trouver leur public.


De surcroît, le prix unique fait baisser les prix. Contrairement aux idées reçues, les chiffres de l’INSEE montrent en effet que depuis une dizaine d’années les prix des livres ont évolué deux fois moins vite que l’inflation.



En favorisant la richesse, la diversité et le renouvellement de la création et de l’édition, en lieu et place d’une standardisation si courante dans de multiples secteurs aujourd’hui, en permettant une variété et une densité de points de vente du livre particulièrement remarquables, en privilégiant une véritable concurrence au détriment de la « loi de la jungle » et en maintenant des prix beaucoup plus accessibles que dans la majorité des autres pays développés, le prix unique du livre est une chance pour le consommateur, pour le lecteur et pour notre culture.
La loi du 10 août 1981 n’est ni obsolète ni corporatiste. Si elle mérite un débat, c’est pour la rendre plus vivante et plus forte encore.


Téléchargez l’appel pour le livre

Téléchargez le dossier complet de l’appel pour le livre


Signer l’appel ICI




Le Monde a publié dans le numéro daté du mercredi 2 juillet cet appel préparé par le Syndicat de la Librairie Française pour défendre la loi de 1981 sur le prix du livre. Les premiers signataires sont:





- Alain Absire, écrivain, président de la société des gens de lettres
- Dominique Arot, président de l'association des bibliothécaires français
- Pierre Bayard, écrivain
- François Bégaudeau, écrivain
- Gérard Bobillier, éditions Verdier
- Benoît Bougerol, librairie la Maison du livre, Rodez, président du syndicat de la librairie française
- Dominique Bourgois, éditions Christian Bourgois
- Yannick Burtin, librairie le Merle moqueur, Paris 20, librairies Initiales
- Françoise Chandernagor, écrivain
- Françoise Charriau, librairie Passages, Lyon
- Bernard Courault, librairie Point Virgule, Aurillac
- Pierre Coursières, librairies Furet du Nord
- Térésa Cremisi, éditions Flammarion
- Christophe Cuvillier, FNAC
- Martine Dantin, librairies l'Arbre à lettres, Paris
- Guillaume Decitre, librairies Decitre
- Gérard de Cortanze, écrivain
- Jean-Christophe Defilhes, librairie Au poivre d'âne, Manosque, président de l'association des libraires du sud
- Hervé de la Martinière, éditions du Seuil et de la Martinière
- Jean Delas, éditions de l'Ecole des Loisirs
- Jean-Pierre Delbert, librairie Martin Delbert, Agen
- Michel Delorme, éditions Galilée
- Matthieu de Montchalin, librairie l'Armitière, Rouen
- Marie Desplechin, écrivain
- Thierry Discepolo, éditions Agone
- Jean Echenoz, écrivain
- Annie Ernaux, écrivain
- Francis Esménard, éditions Albin Michel
- Serge Eyrolles, éditions Eyrolles, président du syndicat national de l'édition
- Alice Ferney, écrivain
- Bertrand Fillaudeau et Fabienne Raphoz, éditions José Corti
- Alain Finkielkraut, écrivain
- Antoine Gallimard, éditions Gallimard
- Jérôme Garcin, écrivain, journaliste
- Laurent Gaudé, écrivain
- Christian Gautier, librairie le Passage, Alençon
- Anna Gavalda, écrivain
- François Gèze, éditions la Découverte
- Franz-Olivier Giesbert, écrivain, journaliste
- Jörg Hagen, France loisirs
- Nancy Huston, écrivain
- Charles Kermarec, librairie Dialogues, Brest
- Alain Kouck, groupe Editis
- Gilles Lapouge, écrivain
- Christophe Lasserre, Alapage
- Liana Levi, éditions Liana Levi
- Irène Lindon, éditions de Minuit
- Didier Lory, Chapitre.com, librairies Privat
- Alberto Manguel, écrivain
- Olivier Mannoni, traducteur, président de l'association des traducteurs littéraires de France
- Marion Mazauric, éditions Au Diable Vauvert
- Anne-Marie Métailié, éditions Anne-Marie Métailié
- Pierre Michon, écrivain
- Denis Mollat, librairie Mollat, Bordeaux
- Olivier Nora, éditions Grasset
- Françoise Nyssen, éditions Actes Sud
- Michel Onfray, écrivain
- Erik Orsenna, écrivain, membre de l'Académie française
- Paul Otchakovsky-Laurens, éditions POL
- Jean-Marie Ozanne, librairie Folies d'encre, Montreuil
- Daniel Pennac, écrivain
- Philippe Picquier, éditions Philippe Picquier
- Bernard Pivot, écrivain, journaliste
- Patrick Poivre d'Arvor, écrivain, journaliste
- Claude Ponti, écrivain, illustrateur
- Olivier Pounit-Gibert, librairies Gibert Joseph et Univers du livre
- Michel Prigent, Editions des Presses Universitaires de France
- Jean-Noël Reinhardt, Virgin
- Jean-Marc Roberts, éditions Stock
- Marc Szyjowicz, librairie Nation BD Net, Paris, président du groupement des libraires de bande dessinée
- Michel Serres, écrivain, membre de l'Académie française
- Jean-Marie Sevestre, librairies Sauramps, Montpellier, Alès
- Christian Thorel, librairie Ombres blanches, Toulouse
- Jean-Philippe Toussaint, écrivain
- Laurence Tutello, librairie Le Chat Pitre, Paris 13, présidente de l'association des librairies spécialisées jeunesse
- Philippe Van der Wees, Cultura
- Bernard Wallet, éditions Verticales
- Sabine Wespieser, éditions Sabine Wespieser






Si vous avez encore le courage de lire quelque chose sur le sujet, voici un article que j'ai écrit à ce sujet début juin : il explique comment tout ce barouf a commencé :




La loi Lang est relativement simple: elle stipule que de Boulogne-sur-mer à Marseille, un livre doit coûter la même chose. En autorisant une remise de 5% maximum, cette mesure (l'une des 101 propositions du candidat Mitterrand) protège depuis plus de vingt-cinq ans les libraires indépendants... et agace les "grands groupes". Déjà, dans les années 80, l' "agitateur culturel" qu'est la Fnac l'accusait de contrevenir au traité de Rome; aujourd'hui, Michel-Edouard Leclerc a pris le relais, proposant sur son blog, à l'occasion de la remise du rapport Attali, sa suppression pure et simple: "Une 317 ème proposition: abolir la loi Lang? Chiche *!".

La dernière attaque a eu lieu le 26 mai, en plein débat sur le projet de loi pour la modernisation de l'économie. Sur proposition d'un député Nouveau Centre, Jean Dionis du Séjour, l'Assemblée a examiné un amendement visant à écourter de deux ans à six mois le délai durant lequel les soldes de livres sont interdits. Selon lui, "les livres d'actualité sont plus nombreux, ils vieillissent vite et ils sont vite retirés des rayons. 50 millions d'entre eux partent au pilon." D'où l'idée de les solder rapidement... Concrètement, cela donnerait une seconde vie, six mois après sa parution, au énième portrait politique de Nicolas Sarkozy. Une chance ?


Evidemment, la réaction des professionnels ne s'est pas fait attendre : un communiqué du Syndicat National de l'Edition, du Syndicat de la Librairie Française, et de la Société des Gens de Lettres a dénoncé une mesure qui "bouleverserait le marché du livre", diminuerait la qualité de l'offre éditoriale, et entraînerait la mort des librairies indépendantes, incapables de lutter contre les grandes surfaces culturelles et les vendeurs de livres en ligne. "De toute façon, analyse Marie-Rose Guarnieri, libraire à Montmartre et créatrice du prestigieux prix Wepler, ça fait longtemps que Leclerc et Amazon cherchent à faire éclater cette loi en prétendant défendre le consommateur. Cette histoire de six mois est aberrante. Notre métier demande justement du temps: celui de faire connaître une oeuvre au public. Ce serait du suicide que de brader des ouvrages au bout de six mois. Et quelle démagogie de faire croire que tout cela va faire baisser les prix !". De fait la Grande-Bretagne, qui a déréglementé le prix du livre en 1995, ne compte quasiment plus de librairies indépendantes ; et les livres y sont globalement plus chers qu'en France.

La profession, furieuse, a interpellé Christine Albanel, qui les a soutenus. "Nicolas Sarkozy n'avait pas exprimé le désir de réformer cette loi. On ne s'attendait pas du tout à cela, s'étonne encore Eric Vigne, éditeur et auteur du récent Le livre et l'éditeur*. Difficile, en effet, de comprendre ce subit intérêt de Jean Dionis du Séjour pour la loi Lang. Ce qui est certain, c'est que les vendeurs de livres en ligne seraient les premiers bénéficiaires d'une réforme qui leur permettrait de vendre des ouvrages moins cher (avec livraison gratuite).

On en est encore bien loin, puisque la proposition de Jean Dionis du Séjour n'a, finalement, pas été adoptée par le Parlement. Reste que cette initiative est, selon Eric Vigne, un "coup de canif" à la loi Lang. Et que, début mai, les libraires ont perdu une autre bataille, juridique celle-là: la Cour de Cassation vient d'autoriser la gratuité des frais de port pour les vendeurs de livres en ligne. Et cette petite entorse à la loi Lang inquiète déjà les libraires et les éditeurs.

mardi 1 juillet 2008

Le polar moules-frites du mois






A la demande de Flora (quel narcissisme!), et parce que j'aime bien les Belges, je viens vous parler du Carré de la vengeance, de Pieter Aspe, le dernier polar frites-mayo à la mode.


Que se passe t-il, d'ailleurs, avec Bruges ce temps-ci? La question mérite d'être posée. D'abord un film (Bons baisers de Bruges, réalisé par le formidable dramaturge irlandais Martin Mc Donagh), puis un roman...











Dans le Carré de la Vengeance, on rencontre le commissaire-(adjoint, précisons) Pieter Van In. Il faut imaginer un quadra un peu fatigué qui clope comme il respire et qui carbure à la Duvel (si vous ne savez pas ce qu'est la Duvel, je ne peux plus rien pour vous).






Un bon polar, c'est avant tout un bon héros et Pieter Van In est plutôt réussi dans le genre raté sympatoche. C'est un commissaire, mais adjoint; il est bel homme mais un peu trop gras; il est séducteur mais désespérément célibataire; il est estimé mais peut être rétrogradé à tout moment, etc. C'est un héros moderne.


Et il se retrouve face à une affaire infiniment complexe qui mélange plein d'horreurs : un cambriolage de bijouterie, les Templiers (mais où est donc passé leur trésor, hein? Je vous le demande), un rapt d'enfant, des secrets de famille absolument terrifiants, du genre inceste, adultère, etc. Le tout dans la haute bourgeoisie brugeoise, façon diamantaires et compagnie, qui sont assez comiques, puisqu'ils s'amusent à injecter des mots de français dans leur flamand, pour faire genre. Diable!


Mais il sera assisté, épaulé, que dis-je, il ne fera plus qu'un avec la belle Hannelore Martens, juge d'instruction, jeune femme ambitieuse, sexy et futée. Quelle intrigue folle !


Il est vrai que l'originalité n'est pas la qualité première de ce roman flamingant. On sait très bien que Pieter et Hannelore vont former un joli couple de fins limiers, que l'enfant rapté sera restitué à la famille, que tout le monde sera ému, et puis surtout qu'on va trouver le coupable, que tout cela va bien se finir, peut-être même dans un estaminet près du canal... Mais que de plaisir à la lecture de ces descriptions fines, de ces aventures palpitantes, de ce récit bien roulé, bien amené, drôle, fin et sans prétention !




Pieter Aspe, Le carré de la vengeance. Albin Michel. 18 euros. Traduit du néerlandais (et très bien!) par Emmanuel Sandron.



Musique : Raoul Petite, De la bière.

Si vous ne connaissez pas ce groupe de rock aptois, assez populaire dans les années 80 et très influencé par Franck Zappa, je vous conseille d'aller écouter leur album Rire c'est pas sérieux...(1998). Le Chevalier , chanson COMPLÈTEMENT FOLLE, est l'un de leurs meilleurs morceaux.

mardi 24 juin 2008

Le livre de l'été? C'est ça et rien d'autre





Mieux qu'un polar victorien, mieux qu'une histoire littéraire du roman policier, je viens ici vous parler d'un roman-documentaire absolument merveilleux, que dis-je ! Epoustouflant.

Cela s'appelle L'Affaire de Road Hill House, et c'est écrit par une Anglaise d'une quarantaine d'années qui était critique littéraire au Daily Telegraph : Kate Summerscale, retenez ce nom.

Imaginez d'abord une élégante demeure géorgienne du Wiltshire avec cuisines et dépendances, et son armada de domestiques et de livreurs.


A l'aube blanche du 30 juin 1860, on découvre, dans la puanteur des latrines de Road Hill House, le corps mutilé, égorgé, étouffé sous les excréments, d'un enfant de trois ans. C'est celui de Saville Kent, le plus jeune fils de la maisonnée. Ce crime terrifiant, apprend-on, n'est pas l'oeuvre d'un rôdeur, mais d'un proche, parent ou domestique. Qui est coupable? Constance, la grande soeur taciturne ? La mère ? La bonne ? Alors que l'enquête des policiers locaux piétine, pom pom pom, voilà qu'arrive un détective de Scotland Yard, Jack Whicher, dépêché à Road Hill House pour tirer l'affaire au clair...






(ceci est un grossier plan de Road Hill House, comme vous pouvez l'imaginer).




Reprenons. Si l'on veut résumer la chose, Jack Whicher = Sherlock Holmes. C'est aussi simple que ça: Conan Doyle s'est largement inspiré de Whicher pour composer Sherlock Holmes, fin limier analytique, calme et rigoureux; Wilkie Collins s'en est inspiré aussi, notamment pour écrire La pierre de lune.

Donc, on a affaire à un meurtre sordide, décrit avec un luxe inouï de détails, qu'un personnage archétypal de super-détective tentera de résoudre. Et Kate Summerscale multiplie les sources, enchevêtre citations d'Edgar Poe ou de Dickens et archives de journaux de l'époque, détails météorologiques et digressions étymologiques : elle compose, véritablement, un récit singulier et fascinant.

Parce qu'elle est symptomatique d'une Angleterre victorienne empêtrée dans ses obsessions bourgeoises, Road Hill House est une affaire criminelle exemplaire. Summerscale la dissèque admirablement, et on retrouve, dans ce huis-clos terrifiant, tous les éléments du fait-divers "réussi": le sang, le stupre, la syphilis, l'hystérie féminine, le sperme, la jalousie, les miasmes, les excréments... Le tout, bien sûr, donné en pâture à tout le pays par voie de presse. On sent d'ailleurs la délectation malsaine du «grand public» à lire toutes ces horreurs, comme s'il fallait jouer à se faire peur en commentant encore et encore le récit atroce de la mort d'un enfant... Cela vous rappelle quelque chose ? Forcément.

Road Hill House, c'est un premier roman polyphonique, qui convoque à la fois Darwin, Freud, Edgar Poe, Conan Doyle et même Marx.... Et il nous restitue, par cette subjectivité-là, une certaine vérité de cette affaire, bien mieux que n'importe quel récit journalistique, dont il s'éloigne absolument.

Et puis, moi, je vais vous dire : la dernière fois que j'ai lu quelque chose qui restituait avec tant de justesse cette époque, c'était Sarah et le lieutenant français, de John Fowles.






L'Affaire de Road Hill House, de Kate Summerscale. Traduit de l'anglais par Eric Chédaille. Christian Bourgois. 527 pages. 25 euros.


Musique : peut-être aurez-vous reconnu la fameuse Sarabande d'Haendel, B.O du sublime Barry Lyndon de Stanley Kubrick.